Au Musée Picasso, l’exposition Philip Guston s’ouvre comme un espace calme mais chargé, où la peinture semble toujours sur le fil.
Les salles racontent le parcours d’un artiste passé de l’abstraction à une figuration directe, un peu maladroite, parfois presque enfantine, mais d’une force étonnante.
Les premiers tableaux ressemblent à des paysages intérieurs : grandes zones rosées, gestes flottants, surfaces épaisses qui vibrent encore de l’énergie de la peinture américaine des années 50 et 60.
Les couleurs s’étirent, se superposent, gardent quelque chose de retenu. Puis, d’un espace à l’autre, l’abstraction se fissure. Des formes reviennent, la ligne se précise : comme si le monde extérieur insistait doucement pour réapparaître.


Puis arrive le tournant. Ces silhouettes coiffées de capuches, ces chaussures traînées au sol, ces lampes, ces cigarettes immenses, ces murs posés comme des blocs.
La peinture devient plus franche, moins décorative. Elle parle de ce qui dérange, de ce qui pèse : la violence, le racisme, la peur. Elle montre aussi l’absurde du quotidien, ce côté un peu drôle malgré soi qui glisse dans les images.
Entre deux œuvres, un souffle. Un rose léger, un rouge plus brut, un gris comme de la poussière : tout semble vaciller légèrement. Le trait noir s’épaissit, tremble parfois, comme un souvenir flou ou un rêve qu’on n’arrive pas à retenir.
Les objets paraissent vivants, les corps disparaissent. Les œuvres gardent une insistance, une pulsation.
Plus loin, les dessins s’accumulent, tous en recherches et en retours. Le crayon recommence, hésite, corrige. Rien n’est figé chez Guston : tout peut encore bouger, changer.
La peinture devient une façon de lutter contre l’oubli, de rester éveillé dans un monde qui fatiguerait vite.
Au fil de la visite, une sensation étrange s’installe : celle de traverser quelque chose de très sincère, sans effet, sans protection.
Le musée devient un endroit où l’humour un peu noir et la gravité se répondent sans se contredire.


Quand on ressort, la lumière de Paris semble un peu différente, comme passée à travers les couleurs et les contours de Guston.
Dans la rue, un écho reste, doux et rugueux en même temps : la certitude qu’une peinture peut encore faire bouger les choses, ouvrir un espace, renverser un regard et tout recommencer.